Question :
Nous avons étudié dans la Guémara qu’il est interdit d’appeler le patriarche Avraham par Avram. Est-ce un véritable interdit ? car je n’ai pas trouvé cela dans le Choul’han Aroukh ?
Réponse :
On trouvera des éléments de réponse dans le Choul’han Hama’arekhet tome 1 page 82.
La Guémara dans Brakhot (page 13.) dit que celui qui appelle Avraham, « Avram », transgresse une Mitsva positive, comme il est dit: Et ton nom sera Avraham. Selon Rabbi Eliezer, il transgresse un interdit, comme il est dit: Et tu ne seras plus appelé Avram.
S’agit-il d’un véritable interdit de la Torah ou d’une recommandation rabbinique appuyée par un verset ?
Si l’on se penche sur les maitres qui ont recensé toutes les Mitsvots, on constatera qu’ils n’ont pas compté cette injonction dans la liste des Mitsvots. C’est étrange. Même constat lorsque l’on se tourne vers les décisionnaires. Ils ne rapportent pas cette transgression d’un ‘Assé et d’un Lo Ta’assé. Excepté le Maguen Avraham (chapitre 156) qui rapporte cette Halakha.
C’est pour cela qu’un certain nombre de maitres contemporains ou des générations précédentes stipulent qu’il ne s’agit que d’un appui sur le verset mais pas d’une loi de la Torah a proprement parler. C’est le cas du Kaftor Vaféra’h (chapitre 46), du Zohar Harakia (Mitsva ‘Assé 85) ou du ‘Hidouché Maharcha, du Tsla’h, etc.
Certains, comme le Zohar Harakia, expliquent qu’on ne compte pas dans la liste des Mitsvots les injonctions qui ont précédé le Don de la Torah au Sinay.
On pourra consulter également le livre Béer Chéva (Tamidn fin du premier chapitre), qui rapporte cette Guémara dans Brakhot et la commente en disant qu’il ne s’agit pas d’une interdiction à proprement parler. Il compare ce genre d’interdictions à ce que l’on troue dans la Massekhet Sanhedrin : celui qui persiste dans la dispute enfreint un interdit, comme il est dit: il ne sera pas comme Kora’h et son assemblée. Là-bas aussi, ne s’agit pas d’une transgression officielle de la Torah mais d’une recommandation qui s’appuie sur un verset.
Voir aussi le Chout Pné Mévin (Yoré Déa chap. 329) qui constate, dans le même genre d’idée, que le Rambam et le Choul’han Aroukh n’ont pas rapporté ce que dit la Guémara dans Erouvin à propos de celui qui dort dans une pièce où dorment un couple marié: Ce n’est pas convenable parce que le couple se sentirait gêné pour partager un moment d’intimité. Et la Guémara s’appuie sur un verset. Il s’agit là aussi d’une recommandation de type « savoir vivre » mais pas d’un véritable interdit.
Toutefois, même si l’on adhère à cette idée qu’appeler Avraham du nom Avram n’est pas un interdit de la torah, cela n’explique pas pourquoi cette Mitsva n’a pas été rapportée par les décisionnaires. Car admettons que l’interdiction n’est pas Toranique, elle n’en est pas moins rabbinique, et les décisionnaires se doivent de rapporter les décisions rabbiniques !
L’une des réponses se trouve dans le Chout Maharil Diskin (Kountrass A’harone; chapitre 19, notes): ce n’est qu’en s’adressant à Avraham lui-même, se son vivant, que l’on enfreignait cet interdit. Plus aujourd’hui. Cette réponse me semble étrange. Pourquoi la guémara donnerait elle une recommandation qui n’était plus d’actualité déjà à son époque ! A moins que l’on considère qu’il ne s’agit pas de paroles de Halakha mais plutôt de Agada, au caractère essentiellement moral. Ainsi, il faudrait y décoder un message qui n’a pas de rapport avec le domaine des permis et des interdits, mais néanmoins formulé sur ce mode ! Cela permet d’expliquer, à mon sens, le silence des décisionnaires. Ils ont considéré que l’on n’est pas dans le domaine de la Halakha mais de la Agada. De toutes les manières, la réponse d’ordre chronologique que nous avons rapporté précédemment n’a pas vraiment convaincu les décisionnaires, parce qu’elle ne s’accorde pas trop avec la suite de la Guémara. D’autres ont voulu dire qu’on n’apprend pas de Mitsva d’avant le Don de la Torah. Alors que l’Amora de la Guémara, lui, considère la chose comme possible.
Conclusion : il semble qu’il s’agisse d’une Mitsva, mais pas au sens habituel des Mitsvots recensés chez les décisionnaires.