J’ai entendu qu’il est important de garder le même lieu de prière, je voudrais savoir pourquoi ?
Réponse :
Halakhiquement parlant, effectivement il est important (même s’il est difficile de parler d’obligation) de prier dans le même lieu. Nous allons essayer d’expliquer pourquoi.
On lit au début de la Massekhet Brakhot :
Rav ‘Helbo a dit au nom de rav Houna : quiconque fixe un endroit pour sa prière, le Tout Puissant d’Avraham lui vient en aide. Et lorsqu’il meurt, on lui dit : « quel ‘hassid ! quel (homme) humble ! Il est un des élèves d’Avraham notre père. » Quant à Avraham, d’où sait on qu’il a fixé un endroit (pour prier) ? car il est écrit : « Avraham se leva tôt le matin à l’endroit où il s’était tenu. ». Or le fait de se tenir, n’est rien d’autre que la prière, comme il est dit : « Pin’has se tint et pria/fit justice »
Commençons par nous pencher sur l’importance donnée au fait de fixer un endroit pour prier. L’explication la plus simple est liée à ce qui caractérise le plus la Téfila, à savoir la conscience de se trouver devant Lui, ainsi que la sensation craintive qui accompagne cette situation. Pour faciliter cette prise de conscience, il est nécessaire de s’arracher au monde « extérieur », bruyant, envahissant, lieu de la multitude, pour rejoindre un endroit réservé, susceptible d’éveiller le désir de s’élever vers Lui.
On peut aussi réfléchir aux rapports intrinsèques qu’entretiennent le lieu et la prière. Evidemment, toute action humaine entretient forcément un rapport, même imperceptible, avec le lieu où elle se réalise. Et toute action humaine répétée systématiquement dans un même lieu est marquée de cette constance. Mais au niveau de la prière, qu’est-ce que cet état de fait peut apporter de salutaire ?
Pour Rav Dessler (Mikhtav Mééliahou tome 3, page 128), la prière renouvelée au même endroit permet la remise en mémoire des marques laissées par toutes les prières précédentes. Assisté de toutes ces impressions invisibles cumulées, le prieur pourra cultiver davantage sa présente prière, et la protéger d’éventuelles troubles du cœur (membre symbolique incarnant l’instrument de prière) liés aux vicissitudes du quotidien. On repérera, dans cette explication, l’idée, chère aux maitres du Moussar, que les petits gestes extérieurs (ici, le retour sur le même lieu de prière) ont des effets sur les profondeurs de l’être.
Allons plus loin : une prière, réalisée dans le même lieu que la prière précédente, en est, en quelque sorte, son prolongement. Si nous accordons à la prière une dimension performative, on pourrait dire que l’obstination à persévérer au même endroit témoigne d’une volonté de d’affronter un obstacle par la force. Cet obstacle, ce serait ce qui nous sépare de la Transcendance, en particulier depuis la destruction du Temple, où nous sommes privés de Sa présence. Certains maitres, afin de rapprocher cette idée de notre entendement, donnent l’image (empruntée au Ari Zal) d’un roi qui tirerai avec un canon, plusieurs fois consécutives, sur la même portion d’une muraille, afin d’y faire une brèche. Méthode davantage efficace que de tirer en visant à chaque fois une autre cible dans la muraille. L’analogie est claire.
Mais l’idée du lieu peut s’aborder sous un autre angle. A condition d’entendre le Makom non plus uniquement comme un lieu géographique, mais comme, plus généralement, une situation. Dans notre contexte, il s’agit de la situation du prieur en regard de ses requêtes. Celles-ci sont-elles en adéquation avec ses aspirations les plus profondes ? Le prieur est-il à la hauteur de ses demandes pieusement formulées ? Songeons, simple exemple, à celui qui demanderait à ce que lui soit octroyées, comme on le fait dans chaque ‘Amida, les différentes formes de Sagesse. Mais qui, paradoxalement, ne consacrerait aucun temps à l’étude… Abordées comme telles, les demandes de la prière deviennent une épreuve de vérité. Pour réussir cette épreuve, il faudrait donc procéder à un travail de remise à niveau. Expression à connotation scolaire par laquelle nous désignons les efforts à fournir pour que notre comportement soit à la hauteur de nos sollicitations quotidiennes. Comme si la prière entrainait, dans son sillage, une remise en question permanente.
Tentons d’expliquer à présent en quoi la fixation d’un lieu de prière, aussi capitale soit elle, mériterait à ce point les éloges funéraires promises par rav Houna ? Le geste, pris dans sa réalisation, n’est-il pas, finalement, ordinaire ?
Justement, répondent les maitres. Parce que le paramètre géographique revêt un aspect, disons, auxiliaire dans l’économie (pratique) de la prière, l’attention éventuellement portée à ce détail halakhique révèle l’importance que nous conférons à la prière.
Attitude qui révèle aussi une certaine humilité. Car, si toute Téfila est sujétion (que nous préférons au terme de soumission, plus péjoratif), qu’elle met en évidence l’impuissance d’une créature séparée, l’improvisation renouvelée d’un lieu de prière ne permettrait-elle pas de préserver une ultime parcelle de liberté ? (Il faut avouer qu’il y a, dans ce que l’un de mes maitres s’amusait à nommer le papillonage synagogale, la traduction d’une certaine insubordination…)
On comprendra mieux les éloges promis : ‘Hassid (pieux), parce que le respect des « contours » de la Téfila révèle un attachement à celle-ci. ‘Anav (humble), parce que la fidélité à un lieu montre un renoncement à une certaine forme de liberté. |