Question :
J’habite dans la région parisienne et, dans le cadre de mon travail (avec des non- juifs) je suis souvent contraint de devoir serrer la main à des dames, qui seraient choquer de mon refus de leur serrer la main. Que dit la halakha dans ce cas ?
Réponse :
Le sujet est particulièrement délicat, puisqu’il en va des bonnes relations sociales, du jugement que nos voisins non juifs peuvent porter sur nous, et, parfois, de notre Parnassa. Certains rabbins se sont prononcés à ce sujet en invoquant une recommandation du ‘Hazon Ich, qui aurait dit (cf. Taharat Bat Israel du Rav Vagshal) qu’il s’agit d’une interdit pour lequel il vaut mieux se faire tuer plutôt que de l’enfreindre.
Pourtant, cela n’a rien d’évident. Tout d’abord, quel est la nature de l’interdit présumé de toucher une femme qui n’est pas la nôtre ?
Le Rav Moché Feinstein n’interdit donc pas formellement et totalement le serrage de main mais précise, au final, que le champ de permission reste exigu et qu’il est difficile d’autoriser. Cela sous-entend qu’il est des situations où, faute de pouvoir faire autrement, il est possible de se montrer moins strict que d’ordinaire. Or, les personnes confrontées au genre de situation exposées dans la question ne sont-ils pas dans ce cas ? Se créer des inimitiés et mettre en danger son gagne-pain n’est -il pas la situation limite dans laquelle on pourra user de cette permission ?
Le Rav Meir Mazouz de Kissé Ra’hamim, interrogé sur la question, a répondu que « certains » permettent. Il précise qu’il s’agit du Rav Chlomo Ilouz, rabbin de Tripoli et auteur de plusieurs livres. Faute de référence, je n’ai pas trouvé cette décision dans ses ouvrages, mais cela montre en tout cas qu’il arrivait à certaines autorités de se montrer souple en cas de grande nécessité.
Et puis, il ne faut pas oublier ce qu’a écrit un des plus grand maitres, Rabbi Yossef ‘Hayim de Bagdad, dans son Od Yossef ‘Hay
Celui-ci rappelle d’abord que celui profite du contact physique, qui enlace, qui embrasse, l’une des ‘Arayots, enfreint un interdit de la Torah, passible de coups. C’est l’avis du Rambam, du Ran, et d’autres Richonims. Certes, selon d’autres Richonims comme le Ramban l’interdit est rabbinique. Mais les décisionnaires ont généralement tranché comme le premier avis, en particulier le Choul’han ‘Aroukh, Even Ha’ezer Chap. 20. Certes il faudra faire la différence entre les ‘Arayots, toutes ne sont pas de la même gravité.
Il précise ensuite qu’un sage âgé dont des femmes viennent embrasser la main ne doit pas se sentir le devoir de les repousser. Car, premièrement, ce n’est pas un baiser affectueux. Secondement, la manière dont ce geste est réalisé montre bien qu’il s’agit d’un honneur porté à la Torah, comme on embrasserait un Sefer Torah, par exemple. C’est pour cela que le Rama amène une opinion permettant le contact physique lorsqu’il n’a pas une connotation sensuelle mais est réalisé Lechem Chamayim.
Il rapporte ensuite l’usage « européen » de serrer la main d’un ami ou d’un hôte. Le craignant D. doit éviter cela car ce serrage a une connotation affective.
Il rapporte le Sefer ‘Hassidim qui décommande de serrer la main des femmes, en précisant que ce que cet ouvrage vise est la coutume européenne décrite plus haut.
Toutefois, il ressort d’une lecture précise du ‘Od Yossef ‘Hay, que ce qui pose essentiellement problème est le serrage de main vigoureux, manifestant un certain enthousiasme. A l’exclusion d’une poignée de main réalisée avec un certain détachement, comme par obligation. Mais il est difficile d’etre certain que ce soit l’intention du Ben Ich ‘Hay.
Certains brandissent en exemple le Rav Ovadia Yossef, qui, nommé grand rabbin d’Israel aurait refusé de serrer la main à Golda Méir. Mais est-ce vraiment comparable. N’oublions pas que le Rav Yossef occupait alors la plus haute fonction rabbinique d’Israel (voir du monde) : son acte, photographié ou filmé, aurait servi de référence pour les générations à venir. D’autre part, les dirigeants de l’état hébreu, même s’ils pensaient promouvoir un état laïc ou proche de cela, n’ignoraient pas complètement les règles strictes auxquels sont confrontés les juifs religieux. Il y avait peu de chance pour le Rav Yossef de choquer, même si, à l’époque son geste (ou plutôt son non geste) n’était pas passé inaperçu ! il n’en va pas de même pour un inconnu, qui, face à une main tendue, refuserait de « coopérer ». Personne n’apprendra de lui à se montrer indulgent.
On raconte au sujet de notre maitre le Rav Mordekhay Eliahou qu’ayant une fois prévenu d’avertir une célèbre dirigeante anglaise qu’il ne serrait pas la main aux dames, il s’est vu féliciter par celle-ci. On voit donc qu’il n’est pas opportun d’essayer de négliger la loi pour trouver grâce aux yeux des non-juifs. Il faut savoir être fier de son judaïsme.
De façon générale, les rabbins qui enseignent la Halakha doivent être attentif à adapter leur discours et leurs directives à la communauté à laquelle ils s’adressent. Doivent être pris en considération : le pays, les coutumes en usages, la mentalité spécifique, le niveau de religiosité, etc. Une halakha bonne pour Bné Brak ne l’est pas forcément pour Chartres ou Dijon ! D’ailleurs, il ne s’agit pas de rigueur ou d’indulgence : il est parfois nécessaire de se montrer d’avantage strict dans des endroits où la souplesse pourrait amener à des glissements fâcheux, et, à contrario, se montrer indulgents là où le niveau d’orthodoxie est suffisant pour ne pas craindre un laisser-aller.
Conclusion : il faut essayer de tout faire pour éviter ce genre de situation. Si c’est impossible, certains se montrent indulgent. |