Question :
j’aimerai savoir, concernant la coutume de « voler » l’Afikoman, est-ce une pratique correcte selon la Halakha ?
Réponse :
nous allons tenter d’exposer les principaux points qui touchent à votre question :
1- Le Kazayit de Matsa que l’on mange à la fin du repas, le soir du Séder, se nomme Afikoman. Dans la Michna (Péssa’him, chap. 8, Michna 10), on peut lire : « et l’on ne termine pas, après le Pessa’h, par l’Afikoman ». Le mot Afikoman ici ne désigne pas la Mitsva que l’on connait. Ce qu’enseigne cette Michna, c’est que la Mitsva consiste à consommer le sacrifice pascal à la toute fin du repas, pour le manger en état de suffisance, ce qui exclut la possibilité de faire suivre le sacrifice d’un dessert, nommé ici Afikoman. Et ce, afin que le goût du sacrifice soit maintenue en bouche, sans qu’il soit altéré par d’autres saveurs.
2- Lorsque l’on tranche la Matsa lors du Ya’hats, la coutume est de couper la Matsa intermédiaire (celle du milieu) en deux, la plus grande partie étant gardée pour l’Afikoman. Certains enveloppent cette partie de Matsa avec une nappe spécialement adaptée. Pourquoi envelopper l’Afikoman ? Le Rokéa’h Hagadol suggère que c’est en souvenir de ce que raconte le verset, à savoir que les Bné Israel emportèrent avec eux leurs provisions attachées à leur vêtement. Cette raison est également évoquée par le Séfer Hamanhig et le Ma’hzor Vitri. Le Or Yécharim, quant à lui, suggère que l’on retire l’Afikoman de la table et qu’on le recouvre, en respect de la halakha qui commande de retirer ou couvrir le pain lorsque l’on procède au Kidouch, pour ne pas que le pain « ait honte ». Ainsi en va-t-il lorsqu’on fait le Motsi sur la Matsa que l’on va manger : il faut retirer l’autre Matsa pour ne pas lui « faire honte ».
3- Pourquoi cacher l’Afikoman ? La raison la plus simple est : par crainte qu’on en vienne à le manger pendant le repas, alors qu’il doit être mangé en dernier.
4- Le Tour résume : « Et il prendra la Matsa intermédiaire, qu’il coupera en deux, et il donnera la moitié à l’un des convives, puis on le mettra sous la nappe en souvenir de « et leurs provisions étaient attachées à leurs vêtements ».
5- Le Taz rapporte au nom du Maharil qu’il faut couper la Matsa de sorte à obtenir une grande et une petite Matsa. On gardera la grande Matsa pour l’Afikoman car elle constitue la Mitsva principale, celle qui prend la place du sacrifice pascal.
6- Dans beaucoup de foyers, il est de coutume que les enfants « chapardent » l’Afikoman le soir du Séder. Certains expliquent cette coutume comme étant une astuce pour que les enfants ne s’endorment pas lors du Séder. En effet, on lit dans une Brayta (Pessa’him 109a) : « Rabbi Eliezer dit : on attrape les Matsot les soir de Pessa’h, afin que les enfants ne dorment pas ». Plusieurs explications ont été données à cette phrase. Pour Rachi, il s’agit soit de soulever le plateau pour provoquer l’étonnement et les questions des convives, soit de manger rapidement. Pour Rachbam, il s’agit de retirer le pain pour ne pas que les enfants en mangent trop et finissent par sommeiller. Mais pour Rambam, l’on attrape la Matsa l’un de la main de l’autre afin de susciter l’éveil. Le Mikhtav Sofer (Cf. Pardess Eliezer tome 2, chap. 160) propose une justification élaborée et originale à la coutume du vol : comme en témoigne la Torah, les chiens n’aboyèrent point lors de la sortie précipitée des Enfants d’Israel. Or le Talmud dit par ailleurs que l’aboiement des chiens est le meilleur rempart contre les voleurs. La coutume de voler l’Afikoman serait donc une allusion au fait qu’en l’absence d’aboiement rien n’est là pour empêcher le vol…
7- Pourtant, certains s’opposèrent à la coutume du « vol ». Le Or’hot ‘Hayim (473, 19), au nom du Méoré Or s’indigne de cette coutume qu’il qualifie de sotte invention, qui de surcroit, fait penser aux goyims que nous apprenons le vol à nos enfants. Le Mékor ‘Hayim (chap. 477) est moins sévère mais préconise malgré tout d’annuler cette usage. D’ailleurs, le Mahario cachait scrupuleusement l’Afikoman pour ne pas qu’il soit volé. Curieusement, bien que chez le Divré Hayim on volait l’Afikoman, chez son fils le Divré Yé’hezkel on tenait au contraire à ce qu’il ne soit pas subtilisé. Aux absents à l’usage du vol de l’Afikoman on compte aussi le Lev Yehizkia, les ‘Hassidims de Squire (Minhagé Squire, page 16) et de ‘Habad (Otsar Minhagé ‘Habad, page 153). L’usage ne plaisait pas non plus à Reb ‘Hayim de Brisk, arguant que si l’on a nommé la consommation de l’Afikoman « Tsafoun » (caché) c’est pour qu’il soit bien à l’abri !
8- L’on raconte à propos de Rabbi Yéhouda de Dzikov, que l’un de ses proches élèves subtilisa une fois l’Afikoman, dans l’intention de marchander par la suite l’obtention d’une bénédiction dont il avait urgemment besoin, en l’échange de la restitution. Le Rav manifesta son profond mécontentement mais précisa que pour avoir réalisé la Mitsva de restituer un objet volé le ‘Hassid obtiendra certainement la délivrance qu’il souhaitait. Ce qui s’avéra juste…
9- Certains décisionnaires (Vayaged Moché, chap. 18 ; Nit’é Gabriel, Pessa’h tome 2 chap. 83) rappellent qu’il est bon de veiller à ce que l’Afikoman ne soit pas caché dans des endroits inappropriés tel que les toilettes, des endroit proche du ‘Hamets vendu, ou même dans des endroits trop humides…
10- Le Rambam écrit : « Il est interdit par la Torah de voler, y compris quelque chose d’une valeur insignifiante, il est (également) interdit de voler pour jouer, ou voler dans l’intention de restituer, tout cela est interdit pour ne pas s’y habituer. » Précisons aussi que le Rambam tranche : «On ne se livre pas au tirage au sort, ni au jeu de hasard, le Chabat. Car cela s’apparente à du commerce. Mais un homme peut opérer un tirage au sort avec les membres de sa famille pour déterminer qui recevra les grandes ou les petites parts, car ils n’en tiennent pas rigueur ». Certes, si l’Afikoman est subtilisé par un membre de la famille il y a lieu de ne pas considérer cela comme du vol, puisque les membres du ménage sont sous la tutelle du maître de maison et que cela fait partie des usages. En revanche qu’en est-il si une personne extérieure à la famille vole l’Afikoman pour le restituer à la fin du repas ? (D’ailleurs, même concernant les membres de la famille certains se montrent stricts, y compris les jours de la semaine !). En réalité, il y a lieu de se montrer permissif, parce que lors du Séder, le maître de maison ne tient normalement pas rigueur au « voleur », celui-ci ne faisant que perpétuer une pratique connue de la Halakha ! De plus, puisque le Baal Habayit sait que son Afikoman va être volé, la subtilisation ne tombe plus sous la définition du vol !
11- Dans le livre Noheg Kétson Yossef (Premier soir de Pessa’h, paragraphe 4) l’on peut lire qu’il est bon de respecter l’usage consistant à promettre une récompense à celui qui remettra l’Afikoman. En effet, c’est principalement cette perspective qui tient en éveil les enfants jusqu’à la quasi-fin du Séder, ceci étant le but recherché.
12- On peut promettre un prix en échange de l’Afikoman, y compris si ce prix est Mouktsé pour Chabath ou Yom Tov, tel qu’un jouet électrique, etc. (cf. Michna Broura, 306, 33).
13- Selon le Nit’é Gabriel, si le père promet un grand prix, il n’est pas contraint de tenir parole, quoiqu’il serait souhaitable qu’il le fasse. Surtout s’il s’agit d’une promesse faite à un enfant : on se doit alors de respecter notre parole pour ne pas l’habituer au mensonge, comme cela est stipulé dans Souka 46b. Certes, le Aroukh Laner (Souka 46b) se demande pourquoi la Guémara invoque la raison éducative pour préconiser de tenir sa promesse à l’enfant, alors que de toute façon la Halakha recommande de respecter sa parole y compris pour une volonté de transaction émise oralement ? Mais à cela, le Salmat ‘Hayim (chap. 470) répond que l’obligation de respecter sa parole n’est effective que concernant un petit don promis à un adulte. Un engagement envers un enfant, en revanche, ce n’est contraignant que par souci éducatif!
14- Le Rav Mordekhay Eliahou, dans son ouvrage de Halakha traitant des lois des fêtes, rapporte aussi bien l’usage de couvrir et de mettre de côté le morceau de Matsa qui servira d’Afikoman, que celui d’apprendre aux enfants à subtiliser cette même Matsa, ceci afin de les tenir en éveil tout au long du Séder. Donc, malgré les réserves émises par certaines autorités, ceux qui suivent cette coutume ont évidemment sur qui se reposer. |