Réponse :
Il semble que cela soit permis, bien que ce ne soit pas l’idéal. En effet, le Choul’han Aroukh semble autoriser. Bien que généralement il soit interdit de parler, y compris des Divré Torah, au moment de la lecture de la Torah, là nous sommes dans une situation différente puisqu’il s’agit de lire ce qui est justement l’objet de la lecture publique.
La source de cette halakha du Choul’han Aroukh est mentionnée dans le Beth Yossef, au nom du Mordekhay et du Or Zaroua. Il y est dit que Rabénou Yéhouda le ‘Hassid ainsi que Rav Avraham lisaient le « Chémot » (= Chnayim Mikra Véé’had Targoum) au moment de la lecture de la Torah. C’est aussi l’avis du Kolbo. Le Beth Yossef précise qu’il y a des opposants à cette pratique mais qu’il rejoint ceux qui autorisent. D’autres Richonims sont d’ailleurs de cet avis.
On pourrait s’étonner de cette autorisation car finalement, elle empêche celui qui lit pour lui-même d’écouter la lecture publique. La réponse tient sûrement du fait que la lecture publique qui doit se faire selon les règles que l’on sait et avec un roulerau de la Torah Cacher est une obligation qui repose sûr la communauté et non sur le particulier. Celui-ci peut faire sa lecture sans un Séfer Torah. Et donc, du moment où la lecture se fait publiquement et que sa propre lecture est la même, il pourra la pratiquer.
Le Troumat Hadéchen (chapitre 24) justifie par cela l’usage en vigueur à son époque et dans sa contrée, qui était, lors de la lecture publique de Béchala’h ou de Ytro, que les fidèles lisent dans leur propre livre la Chira et les Dix Paroles. Là aussi, leur lecture ne transgresse pas celle de l’officiant, tout comme la lecture du « Chémot » ne la transgresse pas non plus.
Il est important de souligner que le Bédek Habayit, ajouts sur le Beth Yossef de Rabbi Yosssef Karo lui-meme, ainsi que le Choul’han Aroukh lui-même au chapitre 146, précisent qu’il est préférable a priori d’écouter attentivement la lecture de l’officiant. Cela ne veut pas forcément dire qu’il faille renoncer à sa propre lecture à ce moment : si l’on est doué, on pourra lire exactement ce que lit l’officiant. Dès lors, non seulement on a écouté, mais on a aussi lu. C’est ce que préconise apparemment le Troumat Hadéchen lui-même.
Il me semble toutefois que cela soit un exercice périlleux, car l’officiant ne lit qu’une fois alors que le fidèle devra lire deux fois en hébreu et une fois en araméen tout en étant en phase avec l’officiant. A moins que l’officiant soit très lent dans sa lecture. Ou a moins que le fidèle ne lise qu’une fois, tout comme l’officiant, et complète la seconde fois en hébreu et la lecture en araméen plus tard, ou plus tôt. Si bien que sa lecture avec l’officiant ne serait que partiellement celle du « Chémot ». (Cela ne correspondrait pas non plus à la manière idéale de pratiquer le « Chémot » selon plusieurs maitres, car cela obligerait à lire au moins toute la Paracha d’une traite. Toutefois, il semble que les différentes manières de lire le « Chémot » ne sont pas rédhibitoires, et que celui qui n’a pas pu s’acquitter de son devoir avant la lecture publique sera quitte même s’il lit d’une traite.)
D’autres maitres ont souligné l’importance d’une écoute attentive de la lecture publique, mot après mot, et il semble qu’ils ne préconisent pas de lire en même tant que l’officiant (bien qu’il ne soit pas sûr qu’ils l’interdisent) comme le Chla Hakadoch ou le Gra.
Il est possible que si le fidèle se retourne légèrement pour bien montrer qu’il procède à sa propre lecture et qu’il ne participe pas à la lecture publique, il soit plus facile d’autoriser de faire une lecture complète de « Chémot » pendant la Kriyat Hatorah. C’était en effet la manière d’agir de Rav Chéchet, comme cela est raconté dans le traité de Bérakhot. Il est possible aussi que si le fidèle réponde au critère de « Torato Oumanouto », c’est-à-dire que l’étude de la Torah est sa principale activité, la chose est permise. (j’écris dans ces deux derniers cas « il semble » car ces dérogations n’apparaissent pas clairement dans le Choul’han Aroukh, à ma connaissance.) |