Question :
Une personne handicapée qui ne peut pas se déplacer sans chaise roulante (non électrique), peut-il se rendre à la synagogue le Chabat en poussant lui-même sa chaise roulante ?
Réponse :
La Guémara dans le traité de Betsa interdit de sortir sur une chaise. Les commentaires expliquent qu’il s’agit de porter une personne sur une chaise. Pourtant, demande la Guémara, plusieurs grands rabbins sortaient sur une chaise ! Elle répond que lorsque le monde a besoin d’eux, ces personnalités peuvent sortir portées sur une chaise.
La question qui se pose est : quels sont les jours concernés par cette interdiction, qui comporte aussi une exception ? S’agit-il de Yom Tov (c’est le sujet de la Massékhet) ou de Chabbat, ou des deux ?
Le Tour a rapporté cette Halakha dans les lois du Chabat. En clair, il est interdit de porter une personne sur une chaise le Chabat, mais cela est autorisé si le monde a besoin de lui. Le Beth Yossef s’est fortement étonné de cette position du Tour. En effet, il est compréhensible que porter une personne sur une chaise soit interdit un jour de Yom Tov au titre d’action incompatible avec la grandeur du Yom Tov, car trop connoté à une action d’un jour ordinaire. Il est également aisé de comprendre que cette même action soit autorisée un jour de Yom Tov en cas de nécessité. En effet, puisque l’interdit n’est que rabbinique et ne procède pas d’un « travail » interdit à proprement parler, il est aisé de l’autoriser en cas de nécessité. Mais, demande le Beth Yossef, concernant le Chabat, il n’y a a priori aucune raison d’autoriser. En effet, le Chabat souffre de l’interdit toranique de transporter dans le Réchout Harabim, c’est-à-dire dans le domaine public fortement fréquenté et relativement large. Interdiction qu’une simple nécessité ne saurait autoriser !
D’ailleurs, les trois décisionnaires principaux que sont le Rif, le Rambam, et le Roch, n’ont rapporté cette autorisation que dans les lois de Yom Tov mais pas dans les lois du Chabat. En effet, ils n’ont jamais envisagé que cette loi puisse concerner le Chabat, durant lequel transporter dans le domaine public relève d’une interdiction de la Torah.
Même si le lieu où se déplace la personne portée sur une chaise n’est pas un Réchout Harabim mais un Karmélit (c’est-à-dire un domaine qui n’est pas fréquenté aussi abondamment que le nécessite le Réchout Harabim, ou qui n’a pas la largeur du Réchout Harabim), il est évident que les Sages ont rendu équivalent, sur ce genre de sujet, le Réchout Harabim et le Karmélit.
Comment, donc, motiver la Halakha telle que donnée par le Tour ? le Beth Yossef lui-même émet une proposition : étant donné que la Guémara enseigne que « le vivant se porte lui-même « , c’est-à-dire qu’une personne que l’on porte et qui pourrait marcher de par lui-même n’est pas considéré véritablement comme étant « portée », il en ressort que porter un adulte sur une chaise est un interdit d’ordre rabbinique. Or, les interdits d’ordre rabbinique pouvant parfois donner lieu à des autorisations, c’est le cas ici, où par nécessité de se trouver près de son public, le Rav pouvait être porté y compris dans le domaine public.
Il faut reconnaitre que le Beth Yossef n’a pas l’air totalement convaincu par ce raisonnement. D’abord, il rapporte cet argument comme une éventualité, ceci pour sauver les dires du Tour. Ensuite, et surtout, il n’a pas rapporté cette autorisation dans les lois du Chabat mais uniquement dans les lois de Yom Tov. Comme les autres Richonims.
C’est pour cela qu’il est difficile de se reposer sur une autorisation de sortir avec une chaise le Chabat, si cela se fait dans le domaine public.
D’autres réponses que celle du Beth Yossef ont été proposées pour justifier la décision du Tour. Certains disent qu’effectivement le Tour nous parle d’un lieu qui comporte un Erouv, et par conséquent l’interdiction n’était que celle du mépris pour Yom Tov mais aucunement une transgression du Chabat ou de Yom Tov. Lorsque l’interdit est levé, il est donc possible de se déplacer avec la chaise, puisque l’endroit comporte un Erouv. Il y a encore d’autres réponses et généralement, elles n’autorisent pas le transport d’homme porté sur une chaise dans le domaine public le jour du Chabat.
Est-ce à dire qu’il est interdit à une personne handicapée de se déplacer en chaise roulante le Chabat dans le domaine public ?
Le Rav Mordekhay Eliahou semble l’autoriser sous certaines conditions. Voici ce qu’il écrit dans Maamar Mordekhay (chabat tome 3, chapitre 59) :
» il est permis à un handicapé de sortir dans un Karmélit ou dans un Réchout Harabim, en chaise roulante alors qu’il l’a fait avancer lui-même, s’il ne peut pas se déplacer sans elle. A condition qu’il n’y a pas de transgression du Chabat qui accompagne l’actionnement de la chaise et sa manipulation. »
En effet, malgré ce qui a été dit précédemment, celui qui se déplace avec la chaise en la poussant lui-même ressemble à celui qui a besoin d’une canne pour se déplacer. La chaise roulante est comparable à ses propres pieds, puisqu’elle est indispensable au déplacement.
On trouve aussi une permission chez Rav Moché Feinstein dans son Igrot Moché (tome 4, chap. 90).